Auberjonois
(1872 – 1957)
En 1942, ayant découvert au marché aux puces de Lausanne, une toile non signée qu’il croyait être de la main d’Auberjonois, Planque eut le courage d’aller frapper à la porte du peintre afin de lui demander s’il ne s’était pas trompé. Le peu commode Auberjonois répondit, après un silence qui parut interminable au jeune collectionneur, que « effectivement, ce tableau était de lui. Un très mauvais tableau, hélas, mais bien de lui… » Et il ajouta ces mots décisifs venant d’un homme aussi intransigeant à l’égard des amateurs : « Ça, mon garçon, pour un œil, vous avez un œil. Ah ça, vous avez un œil. ». Phrase que Planque répétait à l’envi et qui fut déterminante dans la carrière du chercheur de tableaux qu’il allait devenir quelques années plus tard pour la galerie Beyeler. Planque avait conquis le peintre déjà âgé qui discutait avec lui de peinture, notamment de leur Dieu commun, Cézanne, et de son exemple. Planque voue à cette œuvre une profonde vénération en dépit du jugement de Dubuffet, qui consulté à son propos, lui dira avec sa brutalité coutumière que « Auberjonois n’est rien. Aucune invention. Or seule l’invention compte. » Mais Planque ne s’en laisse pas conter et écrit dans son Journal que « Auberjonois, nous lègue une œuvre intensément humaine. Il arrive à nous donner dans quelques-unes de ses toiles des émotions semblables à celles que le Rembrandt de la fin nous communique […] Œuvre qui pour toujours, tant qu’il y aura des hommes qui se donneront la peine de regarder attentivement, trouvera des admirateurs passionnés, mais aussi des détracteurs non moins passionnés. Auberjonois atteint aux très hautes places, réservées aux esprits exceptionnels. »
La Chasse dans les marais, 1920
Huile sur toile
46,2 x 38,2 cm
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